Éditions Le Hêtre Myriadis, 2017
Dans cet ouvrage, Mélissa Plavis aborde le unschooling en profondeur, d’un point de vue philosophique. Pour elle, comme pour beaucoup d’auteurs ayant pratiqué le unschooling et choisi d’en partager leur expérience via leurs écrits, il s’agit bien d’un véritable mode de vie, choisi, plutôt que d’une méthode éducative. D’ailleurs, comme Léandre Bergeron, Mélissa Plavis conçoit le unschooling sans éducation, et bien comme un accompagnement, un soutien, apportés à l’enfant qui évolue sans entraves imposées par un adulte. La première vraie question que l’on pourrait se poser, c’est pourquoi faire ce choix du unschooling, alors qu’il est encore vu par beaucoup comme radical, et par d’autres comme totalement utopique, voire déconnecté des exigences de la réalité (ou du socle commun, pour parler plus clairement). Les parents qui trouvent que le unschooling c’est chouette, mais qu’il ne permet pas aux enfants de s’intégrer dans la société d’aujourd’hui sont encore très nombreux. Dans son livre, Mélissa Plavis évoque sans vraiment l’aborder le caractère contraignant à outrance des écoles françaises. Sans forcément critiquer l’école, là où d’autres insistent notamment sur son caractère carcéral (voir par exemple Léandre Bergeron), Mélissa Plavis préfère insister sur les points forts de cette autre philosophie, et notamment la liberté qu’offre le unschooling : une liberté qui en fait, selon elle, est le meilleur moyen de s’épanouir et de respecter l’individualité de chacun.
La soumission hiérarchique : le principal problème de l’école
Le problème de la relation verticale éducateur/éduqué est, selon Jean-Pierre Lepri, le principal problème de l’école. Cela impose une relation asymétrique, de soumission hiérarchique, qui s’imprime sur les enfants comme modèle relationnel pour le restant de leur vie. A moins de se révolter, ils retrouveront à l’âge adulte des relations de type patriarcal : une autorité suprême qui domine les autres, que ce soit au niveau scolaire, social, familial, … Le patriarcat reste omniprésent partout dans nos sociétés occidentales, avec les médecins, l’administration, etc,– d’ailleurs, on parle bien souvent de « l’autorité médicale », « l’autorité administrative », etc. Le patriarcat de manière générale, et la relation d’éducateur/éduqué qui concerne plus particulièrement le système scolaire, c’est l’idée que l’un sait mieux que l’autre ce qui est bon pour lui. C’est une relation d’ordre vertical, où l’autorité et la supériorité hiérarchique sont imposés à un individu qui se retrouve par là-même soumis.
Unschooling et relation horizontale
Au contraire du système classique, le unschooling propose en effet une autre approche : une relation horizontale, où personne ne domine personne, et où chacun apprend de l’autre. Cela implique de changer totalement de point de vue sur les apprentissages, et de se libérer de certaines idées préconçues ancrées en nous depuis des décennies (voir notre article « la déscolarisation : un état d’esprit »). Avoir avec son enfant une relation saine et équilibrée, sans notion de domination/soumission, cela nécessite d’abord de faire confiance à l’enfant. Contrairement à ce qui est acquis par beaucoup dans nos sociétés adultites et âgistes, les enfants sont capables et aptes. Leur intérêt, leur curiosité, leur « enthousiasme » pour reprendre le terme cher à André Stern, leur donnent des ailes ! ils sont capables de bien plus que ce qui est généralement admis, tant qu’ils sont intéressés, impliqués, respectés et intégrés.
Unschooling : la vraie dé-scolarisation
En unschooling on laisse l’enfant mener ses apprentissages lui-même. Il dispose du libre choix, autrement dit il va apprendre ce qui l’intéresse ou ce dont il a besoin, au moment où il le souhaite ou au moment où il en a besoin, et de la manière dont lui l’a choisie. De fait, le unschooling est une vraie « absence de scolarisation », en milieu classique bien sûr, mais aussi à la maison : entendez par là que l’enfant ne suit pas de rythme précis imposé, ni de programme ou de manuel – en quelques mots, il ne fait pas « l’école à la maison ». La démarche est totalement différente.
Le unschooling, ce n’est ni du laxisme ni de l’abandon
Si l’enfant mène lui-même ses apprentissages, cela ne signifie pas pour autant que le parent n’a rien à faire, ni à s’en mêler. Il est de la responsabilité des parents de fournir à l’enfant l’environnement nécessaire à l’assouvissement de sa curiosité, et au déploiement de son enthousiasme. En unschooling, l’enfant passe du temps avec ses parents, qui sont disponibles pour lui, pour l’aider à donner vie à ses envies, pour l’accompagner dans ses apprentissages, lui donner accès au monde du savoir en proposant un environnement naturel proche et ouvert ainsi qu’un environnement culturel conséquent (bibliothèque à disposition, sorties fréquentes dans les musées, aux expositions, etc). L’enfant quant à lui est actif : alors qu’en milieu scolaire il est passif, puisqu’il subit un programme, un rythme, et une ou des méthode.s qui lui sont imposés par l’adulte qui « sait mieux que lui ce qui est bon pour lui ».
Vivre pour apprendre
En unschooling, absolument tout devient une occasion d’apprendre : on apprend de tout, tout le temps et partout. Chaque parole, chaque rencontre, est une porte ouverte sur l’apprendre. Mélissa Plavis évoque l’exemple d’un enfant qui trouve un insecte dans son jardin : il va vouloir en savoir plus, que mange cet insecte, ou vit-il, qui sont ces prédateurs, comment se reproduit-il, dans quelles régions du monde peut-on le trouver, etc. On trouve aussi de nombreux exemples de ce type chez André Stern : l’enfant cherche à en savoir plus, parce qu’il veut comprendre, qu’il veut faire à son tour. Parce qu’ils auront été initiés par l’enfant, mûs par sa volonté et son désir de savoir, ces apprentissages resteront gravés en lui, naturellement et sans souffrance – alors que quelque chose qui est inculqué quand l’envie n’y est pas sera oublié aussi vite que c’était entré (d’autant plus que souvent, quand l’envie n’y est pas, souvent la compréhension n’y est pas non plus).
Et la socia(bi)lisation alors ?
C’est à la fois un des principaux arguments des anti-IEF, et une des grandes questions des inspecteurs lors des contrôles pédagogiques : comment un enfant non scolarisé, c’est-à-dire non intégré au « système » peut-il donc se socia(bi)liser ? D’abord, rappelons la distinction que fait Mélissa Plavis, et qui mérite sans doute d’être rappelée sur la majorité des groupes traitant de l’IEF :
- la socialisation est « le processus par lequel l’enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) »
- et la sociabilisation est le fait d’être sociable, c’est-à-dire d’apprécier le contact avec les autres, d’aller au-devant d’eux, de chercher la relation, par opposition à rester enfermé dans sa bulle (ce qui arrive pour bien des enfants qui ont du mal à trouver leur place dans leur classe).
En fait, le unschooling favorise la socialisation bien plus que l’école : il est d’ailleurs souvent rappelé aux parents d’enfants sco, par des notes dans les cahiers ou affichées sur les murs de l’établissement, que c’est aux parents à apprendre à leurs enfants à dire, entre autres, bonjour, au revoir, et merci. En outre, de par son ouverture sur le monde, il permet aux enfants de rencontrer toutes sortes de gens, et de choisir le type de relation qu’ils veulent, et avec qui : le unschooling favorise donc aussi la sociabilisation, bien plus que l’école. De plus, la variété d’âge des personnes croisées ou rencontrées en apprentissages libres permet une interaction bien plus riche que de rester enfermé toute la journée avec des enfants du même âge et des adultes dominateurs.
Le unschooling, c’est apprendre à vivre ensemble
En effet, nous l’avons vu, ce choix de vie remet en question beaucoup de schémas ancrés dans nos sociétés, et notamment le schéma séparatiste. En unschooling, on ne se contente pas de se croiser sous le même toit, ou d’échanger des bribes de conversation en vitesse, le matin parce qu’on est trop pressés, le soir parce qu’on est trop crevés. Non, en unschooling les parents et les enfants vivent ensemble, dans une relation horizontale, on l’a vu, où chacun échange, partage, apprend à l’autre mais aussi de l’autre, sans distinction d’âge. L’enfant mène ses apprentissages, mais on l’a vu aussi, il est accompagné, guidé, conseillé – et non pas éduqué. Apprentissages autonomes ne signifie pas apprendre seul, mais choisir ce que l’on apprend selon ses propres centres d’intérêt, sa manière de l’apprendre, et le moment auquel on l’apprend. De même qu’une future maman qui décide d’accoucher à domicile est accompagnée et soutenue par une sage-femme de son choix, l’enfant qui apprend en toute autonomie est accompagné dans ses choix par le soutien discret mais certain de ses parents, ou de tout autre adulte de son choix. Pour Mélissa Plavis, comme pour d’autres auteurs reconnus du unschooling, il s’agit véritablement d’une autre philosophie de vie, qui implique une nouvelle forme de vie en société, une nouvelle forme de politique aussi : « une micropolitique citoyenne, écologique, et sociale ». C’est une autre vision du monde et des relations entre humains, sans hiérarchisation, sans rapport de domination ou de soumission, sans compétition et sans test aussi. Il n’y a pas d’attente de résultats, qui étouffent l’enfant, le brident, voire le bloquent totalement, et qui stressent les parents à outrance. Elle parle de « philosophie écologique » au sens où on modifie sa manière de vivre en accord avec l’esprit unschooling.
Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation