La pédagogie par l’erreur

La perception de l’erreur dans notre société

« Tu t’es trompé(e), tu fais erreur », « Non, ce n’est pas ça, recommence. » Qui n’a jamais entendu ces phrases ? Comment réagissez-vous à ces affirmations encore aujourd’hui, en tant qu’adulte ? Frustrant, non ? L’enfant, tout comme l’adulte, réagit face à ses erreurs et éprouve des émotions. Il peut recommencer sans sourciller, s’obstiner encore et encore jusqu’à réussir malgré la difficulté, refuser bruyamment de corriger, s’insurger, se révolter. Parfois, il peut sembler passif et peu concerné, nonchalant, peu motivé, impassible, mais cela ne signifie pas qu’il ne prend pas en compte le fait de s’être trompé, peut-être est-il en proie à une tempête intérieure que l’adulte ne voit pas, ou peut-être est-il simplement en train de réfléchir calmement à une solution sans que cela ne se perçoive immédiatement dans les actes. Dans tous les cas, il est important de comprendre que se trouver face à l’erreur génère des émotions, différentes selon la personne, l’âge et le vécu de chacun. Elle modifie le comportement de l’apprenant qui recommence, corrige ou laisse tomber et va faire autre chose. Le traitement de l’erreur est propre à chacunL’erreur fait partie du processus d’apprentissage. Toute acquisition nouvelle, savoir, savoir-faire, savoir-être, questionne. Apprendre c’est se remettre en cause, c’est accepter l’idée qu’on pourra se tromper. Mais parce que certains ont peur de faire fausse route, ils n’osent plus apprendre. C’est le manque de confiance qui neutralise bon nombre d’enfants dans le système scolaire. Tout enfant à la naissance a envie d’apprendre ! C’est inné ! C’est une caractéristique intrinsèque de l’être humain. Apprendre à parler, à marcher, la continence, apprendre à s’habiller, à reconnaître les formes, les couleurs… Certains trouveront plus d’intérêt à savoir marcher que d’être continent mais tout finira par être acquis, par tous les enfants. Alors pourquoi cette confiance en l’avenir malgré les difficultés ne persiste pas en grandissant ? Peut-être faut-il se demander comment est perçue l’erreur dans notre monde actuel ? Comme une faute, n’est-ce-pas ? D’ailleurs à l’école, faute et erreur sont souvent synonymes. Ah, je me suis trompé(e), j’ai fait une faute… je suis fautif(ve)… je suis responsable de mon erreur… je ne sais pas faire… je ne sais RIEN faire… je suis nul(le)… Perte de confiance en soi, crainte d’entreprendre, peur de s’engager, peur d’apprendre, enchaînement des erreurs… c’est un cercle vicieux qu’il faut rompre. Comment ? Dédramatiser l’erreur, la mettre au centre de la pédagogie. Voici quelques pistes pour vous aider.

 

Rien de mieux que de se tromper !

Il est intéressant de se rappeler que l’erreur est au cœur de la démarche scientifique qui relève d’expériences, d’essais, de tâtonnements. On émet des hypothèses que l’on est amené à vérifier. Certaines d’entre-elles sont fausses et il faut alors recommencer. Parfois, certaines sont invérifiables faute de matériel qui n’a pas encore été inventé. Le chercheur suppose, expérimente, crée ses outils et instruments de mesure, essuie de nombreux échecs et, parfois, fait une découverte qui révolutionne l’humanité ! Mais combien d’erreurs avant d’y parvenir ? Quand l’enfant apprend à marcher, il tombe mais il se relève toujours. Parfois, cela peut le ralentir dans sa progression, il trouve des stratégies différentes, comme celle de se déplacer à 4 pattes ou en glissant sur leur postérieur, mais tous les enfants finissent par marcher, malgré toutes les chutes, tous les faux-pas… Cette faculté à apprendre en permanence, cette curiosité, peut être maintenue toute la vie. L’enfant doit prendre conscience que ses erreurs, relevées à l’école ou dans le cadre de l’IEF (Instruction En Famille) ne sont pas des fautes au sens où il aurait fait quelque chose de mal, il s’est juste trompé, c’est différent. Tout le monde se trompe ! Il faut dédramatiserEt pour que l’enfant le comprenne, bien sûr on peut le lui dire, lui expliquer, le lui répéter sans cesse car apprendre se fait aussi par la répétition. Mais surtout, l’adulte doit aussi pouvoir accepter lui-même de commettre des erreurs, et c’est peut-être cela le plus difficile ! Comment un enfant pourrait-il accepter ses propres erreurs, ses propres égarements, lorsque les adultes qui l’entourent ne savent pas le faire eux-mêmes ? Combien sommes-nous à éviter les situations qui nous mettent mal-à-l’aise au lieu de les affronter ? Pourquoi appelons-nous un copain bricoleur pour nous aider à faire quelques menus travaux à la maison alors que nous aurions peut-être pu apprendre par nous-mêmes ? Peur de mal faire, de se tromper ? Se mettre en situation d’apprenant, c’est oser la nouveauté et se remettre en question. Elle suppose que l’élève, quel que soit son âge, accepte l’idée qu’il pourra se tromper. Accepter soi-même de faire des erreurs lorsqu’on est adulte, voilà ce qui dédramatise la situation et qui permet à l’enfant d’avancer, d’avoir toujours envie d’apprendre, malgré les difficultés et le regard des autres.

 

Utiliser des supports corrigés

Pour que l’enfant apprenne de ses erreurs, il est important qu’il les identifie et les corrige lui-même. En IEF, il est alors intéressant d’utiliser des supports corrigés. On peut très bien donner à l’enfant un exercice à faire et lui laisser la correction dans un espace auquel il a lui-même accès. En toute autonomie, il peut ainsi récupérer lui-même le modèle lorsqu’il estime avoir terminé, et procéder à la comparaison entre ce qu’il a fait et ce qui devait être fait.

L’auto-correction est très valorisante, que l’apprenant ait réussi ou non à faire son travail :

  • Lorsqu’il n’y a pas d’erreur, l’enfant prend ainsi tout de suite conscience qu’il a compris ce qui était demandé et qu’il a été capable de réutiliser des connaissances et un savoir-faire. Il a fait tout cela seul sans avoir besoin d’aide, c’est bon pour la confiance.
  • Lorsque l’enfant s’est trompé, l’auto-correction est aussi bénéfique car l’enfant va lui-même remédier à certaines erreurs sans avoir besoin de l’adulte, ce qui lui permet ainsi d’éprouver une certaine fierté et de prendre insensiblement confiance en ses capacités (cette confiance peut être longue à obtenir si l’apprenant est en situation difficile vis à vis de l’école ; la patience, le respect, l’accompagnement et l’empathie sont de mise).

En général, l’apprenant comprend tout de suite ce qui relève de la faute d’étourderie. A moins qu’il ne voit pas sa faute car, lorsqu’on est un peu tête-en-l’air, il est fréquent de ne pas voir ses erreurs ! L’auto-correction permet aussi de se rendre compte que l’on a compris complètement de travers, soit la consigne, soit la théorie. C’est le cas lorsqu’on fait toujours le même type d’erreur. De lui-même, l’enfant s’en rend souvent compte et comprend donc comment y remédier pour les fois suivantes, même si la fois suivante n’est pas encore parfaite, cela viendra. Et puis il y a l’erreur que l’apprenant ne comprend pas et pour laquelle une remédiation est alors nécessaire.

 

Le rôle de l’adulte accompagnateur en IEF

Après que l’enfant se soit lui-même corrigé, l’adulte vérifie. Cela permet d’une part de s’assurer que l’apprenant a bien relevé toutes les erreurs, et d’autre part d’identifier avec lui ce qu’il n’a pas compris. Avant d’expliquer la réponse à un apprenant qui n’arrive pas à saisir le pourquoi de son erreur, il est intéressant de procéder par questionnement pour l’obliger à réfléchir, pour lui permettre de mettre en place une stratégie qu’il pourra réutiliser dans ce même cas ou transposer dans une autre situation. Prenons un exemple :

On écrit : Carine a mangé des crêpes mais Carine est tombée de son lit.

Imaginons que l’enfant ait oublié d’accorder dans la deuxième phrase et écrive « tombé » sans « e ». Plutôt que de lui rappeler les règles de l’accord du participe passé au passé composé, on peut refaire le cheminement intellectuel avec lui.

Quelle est l’action dans la phrase ? Tomber → C’est le verbe

A quel temps est-il ? Passé composé

Quel est l’auxiliaire ? Être

Qui est tombé ? Carine

Féminin ou masculin ? Quel est son genre ? Féminin

Et qu’as-tu appris quand le passé composé est formé avec l’auxiliaire être ? Le participe passé s’accorde avec le sujet

Or tu viens de me dire que le sujet est féminin, donc que dois-tu faire ? Mettre un « e ».

Soit l’enfant se rappelle la théorie et corrige immédiatement, même souvent avant que le questionnement soit terminé, soit il ne se rappelle plus la théorie et il convient donc de la revoir. Il peut être utile d’ailleurs de laisser à l’enfant sa leçon, une méthode, un modèle sous les yeux tant qu’il en a besoin ! Il s’en passera plus tard, lorsqu’il sera prêt, après avoir fait de multiples exercices (qui ne sont d’ailleurs pas toujours strictement des exercices d’application, varier les activités est bénéfique). Et on peut finir en lui demandant de comparer avec la première phrase et lui demander d’expliquer pourquoi il avait raison de ne pas accorder dans le premier cas. De là, si le parent se rend compte que l’enfant ne trouve déjà pas le verbe ou le sujet dans la phrase, ou qu’il ne reconnaît pas le temps employé, C’est que l’enfant a besoin de revoir certaines bases de la grammaire et de la conjugaison avant de s’acharner sur les accords du participe passé ! La remédiation permet ainsi de voir individuellement, ce qu’il est nécessaire d’approfondir avec chaque enfant, indépendamment de ce que le programme scolaire préconise. Ce type de questionnement très simple que je propose dans cet exemple peut être appliqué dans tous les domaines et à tous les niveaux. Il amène l’apprenant à réfléchir et l’incite à développer ses propres stratégies pour remédier à ses fautes, ses maladresses, ses méprises. Cela développe sa pensée, sa créativité et sa confiance et le conduit à considérer l’erreur comme un point de départ ou une étape dans son apprentissage et non comme un obstacle infranchissable.

 

 

Carine Poirier, auteure et cofondatrice de parenthesenomade.com, pour Pass éducation