Que vous pratiquiez déjà l’IEF (Instruction En Famille) avant de vous séparer ou que votre souhait de ne pas ou ne plus scolariser vos enfants intervienne après, il est probable que vous vous posiez nombre de questions sur la faisabilité de votre projet. Comment gérer seul(e) ? Comment cumuler IEF et emploi ? Et quels sont vos droits si l’autre parent s’y oppose ?
Un luxe : le temps
Pratiquer l’instruction en famille demande de la disponibilité. Même s’il est tout à fait possible, et même souhaitable, d’utiliser des ressources au-delà de ses propres connaissances (lieux culturels, ateliers, personnes compétentes dans d’autres domaines, etc.), il n’en reste pas moins que les parents qui choisissent l’IEF ne sont pas dans la dynamique de déposer les enfants à l’école tous les matins, ce qui leur laisse la journée libre pour leurs activités. Eux passent de nombreuses heures avec leurs enfants, au quotidien, tout en prenant sur leurs épaules la responsabilité de leur instruction. Du coup, comment gérer lorsque l’on est seul ? Il n’est pas rare, à l’annonce de la séparation d’un couple, que les conseils pleuvent : « A présent, tu n’as plus le choix, il va falloir le (re-)mettre à l’école », « Fini ton projet d’école à la maison, c’est ingérable toute seule ! », etc. Pourtant, les familles non-scolarisantes et monoparentales existent en France. Elles n’ont certes pas fait le choix de la facilité mais elles se sont organisées pour vivre selon leurs valeurs et offrir aux enfants un mode d’instruction qui les a convaincues. Dans les faits, ces familles reposent majoritairement sur la mère et présentent des profils variés. Vivant souvent sur un petit budget, ces parents jonglent entre activités familiales, domestiques et professionnelles.
Une nécessité : le réseau
Nous disposons tous de vingt-quatre heures par jour, impossible d’obtenir une dérogation pour en avoir plus ! Pour autant, choisir en conscience la manière dont nous les utilisons peut faire une différence. Un parent solo qui cumule instruction en famille et emploi (ou recherche d’emploi, voire reprise d’études) se retrouvera en grande difficulté s’il n’est pas entouré. D’où la nécessité de se constituer un réseau. Cela va du soutien familial à la baby-sitter occasionnelle ou régulière, en passant par le cercle amical. Les familles en IEF ont tendance à se regrouper pour échanger et faire des sorties ensemble, ce qui peut être une opportunité pour se faire des amis et s’organiser via l’entraide : une maman prendra le copain de son fils le lundi, et les deux enfants passeront le mardi avec la mère du premier, par exemple. Les grands-parents peuvent s’impliquer en passant régulièrement la journée avec leurs petits-enfants ou en les gardant à dormir s’ils habitent à proximité ; en les invitant en vacances s’ils sont plus loin. Ce réseau s’avère fort utile non seulement pour la gestion du temps mais également pour le soutien psychologique : lorsque l’on gère tout seul(e), gare au burn-out, il faut trouver un moyen de recharger ses batteries ![1]
Gagner de l’argent
À moins de bénéficier d’une pension très confortable, le parent solo va devoir trouver des revenus. Son métier peut être plus ou moins compatible avec la non-scolarisation, selon son lieu de travail, ses horaires, sa structure professionnelle, sa durée et ses relations avec les collègues. Il est certain qu’un emploi à domicile peut aider, tout comme avoir des horaires libres ou décalés. Des personnes à leurs comptes peuvent ainsi travailler lorsque l’enfant est occupé avec ses jeux, parti chez un copain ou à son stage de judo, mais aussi tôt le matin ou jusqu’à tard le soir, le week-end lorsqu’il est chez l’autre parent, etc. L’important reste de garder l’esprit ouvert : certaines familles témoignent d’avoir emmené leurs enfants avec succès sur leur lieu de travail, dans des milieux très variés et à des postes où cela ne se fait pas habituellement. Si cela n’est pas possible et qu’un mode de garde pendant la totalité des horaires de travail n’est pas envisageable ou souhaité, il faudra peut-être trouver un autre moyen de gagner sa vie. L’instruction en famille a été pour beaucoup de familles, y compris biparentales, l’un des éléments qui les ont conduits à modifier leurs choix de vie pour se sentir plus en adéquation avec ce qui leur convient réellement. Ce sera d’autant plus le cas pour les parents solos. Cela inclut pour un certain nombre le fait de vivre avec moins de revenus, après une réorganisation pour limiter les dépenses, afin de conserver le luxe le plus appréciable à leurs yeux : celui de passer tellement plus de temps ensemble.
En cas de conflit
Rien dans la législation n’implique que l’enfant doive vivre avec ses deux parents pour pouvoir bénéficier de son droit à être instruit en famille, donc, d’un point de vue administratif, l’IEF est tout à fait possible pour une famille monoparentale. Il peut néanmoins être utile, voire prudent, d’impliquer les deux parties, par exemple en signant ensemble la déclaration d’instruction en famille en début d’année[2]. Par ailleurs, certains s’organisent pour que les deux parents soient présents lors de contrôles académiques, voire même pour que chacun s’engage dans l’instruction des enfants au cours de l’année. Mais tout cela implique qu’il y ait une entente suffisante au sein de l’équipe parentale. Au moment de la séparation, et parfois à long terme, des conflits peuvent s’installer et se cristalliser autour des décisions concernant les enfants. Il n’est malheureusement pas rare de voir un parent qui se montrait satisfait du choix de l’instruction en famille se retourner soudainement contre l’autre parent et lui intimer de scolariser les enfants, voire lui faire un procès. C’est d’autant plus regrettable que la continuité du choix d’instruction semble préférable dans une période où les repères des enfants sont bouleversés. Si l’ex-conjoint saisit le juge aux affaires familiales, ce dernier a malheureusement tendance à juger en faveur de la scolarisation, sans doute par méconnaissance de ce que peut apporter l’instruction en famille. Mais rien ne vous empêche de monter un dossier pour montrer que le droit à l’instruction des enfants est respecté et que leur bien-être est au cœur de ce choix légal.
Stéphanie Boudaille-Lorin, auteure du blog S’Amuser Ensemble, pour Pass Education
[1] Pour un soutien virtuel, voir le groupe Facebook « École à la maison et familles monoparentales »
[2] En revanche, dans les cas où l’Éducation nationale exige une signature des deux parents pour la déclaration annuelle, sans que l’un d’eux ne se soit prononcé contre l’instruction en famille, il semble qu’aucun texte juridique ne soutienne cette demande. Au contraire, l’article 372-2 du Code civil distingue les actes usuels et les actes non usuels. Pour les premiers, une seule signature suffit lorsque les deux parents se partagent l’autorité parentale. Bien que la liste de ces actes ne soit pas précisée, il en ressort que la poursuite de l’instruction en famille (comme la poursuite d’une scolarisation) serait un cas usuel et seule la première déclaration en IEF pourrait être considérée comme un acte non usuel.