L’éducation sans école – Conférence-débat animée par Sylvie Gojard, rédactrice en chef du magazine Nexus

Nexus est un magazine d’information indépendant. Son objectif est de partager des informations critiques et exigeantes, travaillées par des professionnels sensibles et curieux à la magie de la vie.

En septembre 2015, le magazine a consacré son numéro à la question de la non-scolarisation. Pour les journalistes de Nexus, cette envie d’aborder le sujet de l’instruction sans école découle du constat d’une grande souffrance et d’un sentiment d’échec ressentis à la fois par des enfants, des parents mais aussi de nombreux enseignants et administratifs du système scolaire. Et elle est née dans un même temps de la rencontre de personnes qui ont fait le choix de sortir de ce système éducatif et d’apporter à leurs enfants une éducation libre, de leur donner accès à des apprentissages en autonomie qui amènent à une vie plus épanouissante. A l’occasion du Salon Marjolaine du 10 novembre 2015, la rédactrice en chef du magazine Nexus, Sylvie Gojard, a invité :

  • André Stern, auteur de « Et je ne suis jamais allé à l’école – Histoire d’une enfance heureuse » (Édition Actes Sud, oct. 2011) & conférencier et père d’un garçon non scolarisé,
  • Fredy Fadel, ingénieur et père de trois filles non scolarisées,
  • Bernadette Nozarian, auteure, chercheuse spécialiste de l’instruction en famille, enseignante & formatrice et mère de trois filles non scolarisées.

 

Présentation des intervenants

Bernadette Nozarian est maman de trois enfants, adultes aujourd’hui, qui ne sont jamais allées à l’école. Elle est également enseignante et chercheuse. Elle s’intéresse tout particulièrement aux relations qu’il pourrait y avoir entre l’Education Nationale et les familles dites « non-sco » (non-scolarisante). En effet, pour la chercheuse, l’Education Nationale aurait beaucoup à apprendre des familles pratiquant l’instruction en famille. Elle s’intéresse également aux contrôles, puisque l’instruction hors école est soumise à des contrôles annuels. Ces derniers ont été renforcés en 1999 quand Ségolène Royal, alors secrétaire d’état à la famille, supposait que les familles non-sco risquaient de se retrouver embrigadées dans des sectes et que les enfants pourraient ainsi être séquestrés et subiraient toutes ces dérives sectaires. Bernadette Nozarian rappelle que les rapports annuels de la Mission Interministérielle de Lutte et de Vigilance contre les Dérives Sectaires ont montré qu’il n’en était rien.

Fredy Fadel nous explique que son choix a découlé du fait qu’il avait fait trop d’études. Quelques heures après la naissance de sa fille ainée, il s’est posé la question du rôle de l’école dans la faculté à résoudre des problèmes. Il s’est rendu compte que tout ce qu’il avait pu apprendre, à l’école puis à la faculté, l’avait plutôt handicapé puisqu’il était contraint de prendre des décisions selon ce qu’on lui avait inculqué (ses professeurs, la société …). Il a donc décidé de ne pas handicaper ses enfants, et de leur donner la possibilité d’apprendre par elle-même en étant leur propre guide.

André Stern n’a, quant à lui, jamais été à l’école. Et ce que beaucoup trouve comme extraordinaire, lui trouve que c’est banal. Et c’est précisément de cette banalité qu’il souhaite parler. André Stern nous explique que les enfants sont équipés de « dispositions spontanées natives » qui sont, quand on les connaît, une invitation à la confiance, confiance dans l’enfant. André Stern nous parle d’attitude, d’écologie de l’enfance. Pour lui, le fait de ne pas avoir été scolarisé est anecdotique. Ce qui compte pour lui, c’est d’avoir été respecté dans ses dispositions spontanées. Le choix de ses parents n’était pas à l’encontre de l’école mais pour les dispositions spontanées de leur fils.

 

Besoin de diplômes ?

Pour Fredy Fadel, l’existence des diplômes est quelque chose de nuisible. En effet, pour lui, cela correspond à obtenir une autorisation pour utiliser ses talents. Cela ne peut pas être une condition pour dire que l’école est utile comme elle délivre des diplômes. Les diplômes ne conditionnent pas les envies, les passions, les talents qui permettent d’exercer un métier.

Bernadette Nozarian explique que les enfants qui ont besoin d’un diplôme vont à l’école. Soit au niveau du lycée ou après, même si en France c’est difficile d’y aller après le lycée car ils n’ont pas de dossier scolaire. Les enfants instruits en famille sont motivés et se donnent les moyens d’obtenir un diplôme, même s’il n’est qu’illusoire.

André Stern nous partage le constat que plus les jeunes sont diplômés moins ils ont de travail. Ainsi, il faut une compétence plus qu’une qualification pour exercer un métier.

 

Existe-t-il des écoles alternatives qui mettent en place leur propre éducation ?

A la date de la conférence, il y a, au sein de l’éducation nationale, très peu d’établissements de ce type. Il existe un collège/lycée dans le Calvados, un établissement à Paris et un autre à Saint Nazaire qui ont une trentaine d’années. Il y a aussi des expériences à Bordeaux et en région parisienne. Ensuite il faut aller dans le parc privé au sein des écoles alternatives : l’Ecole Dynamique à Paris (sur le « modèle Sudbury ») mais cela reste une école avec une assiduité obligatoire et un contrôle de l’Education Nationale. Il y a tout de même une vraie demande puisque la fondation « Créer son école » a énormément de demandes. La « Fondation de France » reçoit également beaucoup de demandes de financement de projets d’écoles innovantes. A tel point, qu’elle a demandé l’expertise de chercheurs pour savoir quels projets elle devrait financer. Malgré tout, ces établissements restent sous le contrôle de l’Education Nationale. Ainsi, seule l’instruction en famille permet cette liberté d’éducation selon vos envies et votre rythme. Parmi les dispositions spontanées dont parle André Stern, il y a celle, soutenue par la neurobiologie,  selon laquelle le jeu est le dispositif le plus extraordinaire dont nous sommes équipés. Plus nous jouons, plus nous apprenons. Pour l’enfant, jouer et apprendre sont synonymes.

 

Et le travail des parents ?

Le parent se retrouve parfois devant le dilemme du travail/passion et de l’arrivée d’un enfant. Pour Fredy Fadel, si le parent n’est pas prêt à céder du temps consacré au travail et/ou à sa passion pour son enfant, il ne devrait pas faire d’enfant. L’arrivée d’un enfant bouleverse les priorités et impose de réorganiser le temps consacré au travail, mais aussi aux passions, pour le dédier à l’enfant.

Bernadette Nozarian précise d’ailleurs que les familles non-sco réinventent leur vie car les priorités sont différentes. Les moyens financiers changent, elles font donc des choix de vie les amenant à être moins dans le consumérisme. Pour les familles monoparentales non-sco, c’est plus acrobatique, mais elles trouvent des solutions pour pouvoir allier les deux.

André Stern ajoute aussi que la démarche des familles non-sco n’est pas de « sacrifier leur vie pour leurs enfants mais de la partager avec eux » (Arno Stern)

La liberté des enfants c’est la libération des parents, car les enfants, en acquérant leur autonomie, décident rapidement de faire sans le parent. Effectivement, forts de leur confiance en eux-mêmes, ils n’ont pas besoin d’être accompagné.

 

Comment se passent les contrôles ?

L’instruction en famille est encadrée par la loi et la loi doit être respectée de part et d’autre. C’est-à-dire que les familles doivent respecter la loi mais les inspecteurs, ainsi que tout le personnel académique, doivent aussi la respecter. Le contrôle de l’instruction se fait, majoritairement, sur le lieu de l’instruction, mais les familles ont de droit de refuser de recevoir chez elles l’inspecteur académique. Les familles n’ont pas à suivre le programme de l’éducation nationale puisque les enfants instruits hors école doivent maitriser le socle commun de connaissances et de compétences à 16 ans, tout comme les enfants scolarisés. Un deuxième contrôle peut intervenir dans un certain délai et doit être notifié. En cas de besoin, les familles peuvent se faire accompagner de parents plus aguerris, des témoins. Il y a, tout de même, des contrôles qui se passent bien, avec des inspecteurs ouverts et qui savent regarder les choses avec un œil plus bienveillant. A la date de la conférence, il existe en Bretagne – Pays de Loire et en Languedoc Roussillon, un mouvement d’ajournement des contrôles qui entre dans sa troisième année. En effet, certaines familles sont épuisées de faire face à des inspecteurs qui ne respectent pas la loi et ont décidé de faire front commun face aux abus qu’elles ont constaté. Des associations soutenant l’instruction en famille sont dotées de services juridiques qui sont en capacité d’accompagner les familles et de traiter les dossiers.

 

Pour conclure

Pour finir cette conférence-débat, André Stern nous parle du film Alphabet qui fait le lien entre la peur et l’amour. Pendant des siècles, on nous a fait croire que notre cerveau était génétiquement programmé, que l’on venait au monde programmé par notre cerveau selon certaines catégories (hommes, femmes, enfants …). La neurobiologie moderne a brisé cette croyance en montrant que le cerveau se développe tel un muscle selon l’usage que l’on en fait. La phrase « les enfants ne sont pas des vases à remplir mais plutôt un feu à allumer » (phrase attribuée au philosophe Montaigne) est, pour André Stern, obsolète. En effet, selon ce que l’on connaît de l’enfant et de ses dispositions, la phrase devrait être « les enfants ne sont ni des vases à remplir, ni des feux à allumer mais un brasier incandescent natif et notre chantier, à nous parents, est de savoir comment ne pas l’éteindre ! ». La dernière réflexion d’André Stern est que nous voyons dans les enfants ce que nous avons été en tant qu’enfant ou que nous aurions pu être, eux, voient en nous l’adulte qu’ils pourront devenir. Que voulons-nous vivre sous leurs yeux ?

 

 

 

Sylviana de Lamour en Vadrouille, pour Pass éducation